Texte recopié
positions conservatrices.» Jacques Toubon l'affirme: « Aujourd'hui, la maçonnerie est un fort facteur de conservatisme, parce qu'elle reste crispée sur la notion d'avantages acquis.»
Ces exemples illustrent parfaitement la complexité du monde maçon, son importance et ses limites. Féodalités, corporatisme, repli identitaire, la maçonnerie serait victime des mêmes maux que la société. Ce qui ne veut pas dire qu'elle en soit responsable. « La franc-maçonnerie n'est qu'un catalyseur. Elle n'a rien inventé. Nombre de maçons ont voulu faire croire qu'elle avait du pouvoir pour gonfler leur importance», affirme un ancien grand maître du Grand Orient, Jean-Robert Ragache. En fait, sa puissance se nourrit surtout des fantasmes qu'elle suscite. « Sa force est exogène et pas endogène», explique François Thual, historien, maçon et auteur de nombreux ouvrages. Jean-André Faucher, dans son livre Les Francs- Maçons et le pouvoir, estime que, parallèlement aux 100 000 maçons dénombrés, 300 000 personnes se font passer pour maçons. Dans une société d'influence, faire croire qu'on en est semble aussi efficace que d'en être !
A bout de souffle et d'idées
Alors, sans remettre en question la maçonnerie, école de pensée et lieu de réflexion laïque, ne faut-il pas s'interroger sur ce fameux culte du secret ? Au Moyen Age, les maçons ne divulguaient pas leurs travaux en loge, mais tout le monde savait qui était maçon! Le grand maître du Grand Orient, Philippe Guglielmi, a réagi de manière très hostile aux mesures prises contre le secret en Grande-Bretagne: « Les membres du GODF ne peuvent que condamner ce type de mesures, dont nous avons fait la malheureuse expérience avec la loi scélérate du 10 juillet 1940.» Le Journal officiel, sous Vichy, publie les noms des francs-maçons français, et nombre d'entre eux furent persécutés. Même prévention de la part de Georges Komar, grand maître de la GLF, qui se souvient avoir porté l'étoile jaune dans son enfance: «Pourquoi faudrait-il révéler son appartenance à la franc-maçonnerie? Et pourquoi pas sa religion?» Claude Charbonniaud, grand maître de la GLNF, évoque, lui aussi, l'histoire de France: «Ma gé-
98 L'EXPRESS 2/4/98
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nération sait ce que veulent dire des perquisitions, des scellés sur les portes. Je suis horrifié par ce qui se passe en Grande-Bretagne, révolté et déçu.» Les francs-maçons, qui sont d'ailleurs à l'origine de la création de la Cnil (Commission nationale de l'informatique et des libertés), sont extrêmement vigilants à l'égard de tout fichier. Pourtant, eux-mêmes, sous la IIIe République, ont dressé des listes d'officiers allant à la messe, pour conjurer, disent-ils, un soulèvement de l'armée.
Une telle hostilité se comprend: la maçonnerie perdrait beaucoup de son pouvoir supposé et de son attrait si elle devenait une association transparente et, donc, banalisée. Mais à force de brandir la menace des listes de sinistre mémoire, les maçons ne risquent-ils pas de développer rancœurs et suspicion. Beaucoup d'anonymes et de sans- grade ont compris la gravité du problème. «Il faut ouvrir les temples. Si c'est secret, c'est qu'il y a quelque chose à cacher», dit l'un d'eux. Rares sont, en revanche, ceux qui osent, à l'intérieur de l'establishment maçon, tenir un discours de réelle ouverture. L'ancien grand maître de la GLF Jean-Louis Mandinaud est de ceux-là: « Déclarer son appartenance à la maçonnerie quand on veut servir la République ne me choque pas, dans la mesure où les maçons s'affirment comme les garants des valeurs républicaines.» Un ancien grand maître du GO confie: «Le se-
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cret maçonnique est un bluff. Le secret a une dimension allégorique. C'est la recherche de la parole perdue. Ce ne doit pas être un prétexte pour couvrir des pratiques claniques ou mafieuses.» Le malaise est d'autant plus grand que la franc-maçonnerie est à bout de souffle et d'idées. Elle qui s'était séparée de la maçonnerie anglaise pour prendre à bras le corps le débat politique, elle qui a mené tant de combats républicains, aujourd'hui, n'a plus grand-chose à dire! Certes, il ne faut pas tomber dans les clichés. Ce ne sont pas les maçons qui ont fait la Révolution, comme certains l'affirment. En 1789, il y avait à l'Assemblée nationale davantage de députés maçons nobles et favorables à une monarchie constitutionnelle que de maçons membres du tiers état. Et si l'on cite souvent le comportement exemplaire des frères Jean Moulin ou Pierre Brossolette pendant la Résistance, on oublie souvent de rappeler que Jean Bousquet et Maurice Papon étaient aussi des maçons. Néanmoins, les frères sont à l'origine de nombreuses lois sociales, comme les congés payés, dont on discutait en loge dès 1876, ou de l'impôt sur le revenu, sur lequel les maçons ont commencé à plancher dès 1872. Ils ont activement participé à l'élaboration des lois sur l'avortement, la contraception, la majorité à 18 ans, la suppression de la peine de mort. Ils peuvent revendiquer la paternité des HLM, |