COMME EN 1789
Les Français ont voté pour le changement, et écopent d'un exécutif sans projet ni objectif. Pour que le pays rebondisse, une crise de régime est salutaire.
Quand Louis XVI se résolut à convoquer les états généraux, le scrutin fut, selon la tradition, précédé de la rédaction dans tous les bailliages de France de cahiers de doléances, chaque ordre, clergé, noblesse et tiers état, rédigeant son propre cahier. On en a conservé la synthèse. Qu'en découle-t-il ? Que les Français, dans leur immense majorité, aspiraient à des réformes qui se fussent traduites par plus d'égalité, moins d'injustice, moins d'abus, moins d'arbitraire, et moins d'impôts reposant sur les plus fragiles. Pour le reste, le système monarchique, institutionnel, social, n'était pas remis en cause (peut-être d'ailleurs avait-on édulcoré le message porté par les cahiers avant d'en remettre la synthèse au roi).
Or, pourquoi le cours des événements prit-il rapidement un tour que l'on qualifiera plus tard de révolutionnaire ? Parce que les délégués aux états généraux s'avisèrent presque immédiatement qu'il était impossible de satisfaire aux aspirations réformistes de la population si on maintenait les institutions et le système en l'état.
D'ailleurs, toutes les tentatives précédentes avaient échoué, toutes les résolutions des états généraux précédents avaient été enterrées, précisément parce qu'on n'avait pas osé remettre en cause le système |
PAR
LE SERMENT OU JEU DE PAUME"
(Jacques-Louis David, 1790). Promesse faite par les députés du tiers état de ne pas se séparer avant que la France ne soit dotée d'une constitution, c'est l'acte fondateur qui amènera au renversement de l'Ancien Régime. |
institutionnel lui-même. Louis XVI avait été d'ailleurs très clair : on ne changera rien, sur le fond, à l'ordre traditionnel existant.
Donc les nouveaux élus décidèrent de changer le système et ils prirent, pour ce faire, quatre décisions historiques : ils retirèrent à la puissance monarchique des pouvoirs qu'ils confièrent au Parlement, c'est-à-dire à eux-mêmes ; ils abolirent les privilèges de tous ordres ; ils proclamèrent les droits du citoyen ; et ils redistribuèrent la propriété foncière, aristocratique et très concentrée, au profit de plusieurs millions de bourgeois et de paysans libres.
LE PUTSCH À FROID
La révolution de 1789, en résumé, c'est cela.
Qui ne perçoit à quel point cette interrogation - peut-on réaliser les changements nécessaires dans le cadre du système en place ? - est redevenue d'actualité ?
La gauche est arrivée au pouvoir, d'extrême justesse, sans projet global, sans objectif défini, mais en |
JEAN-FRANÇOIS KAHN
mettant en avant toute une série de promesses. Etaient-elles appropriées ou inappropriées ? Dans tous les cas, dans le cadre du système existant, elles étaient inapplicables.
On assista donc à une manière de putsch à froid. L'homme qui avait rassemblé sur ses idées 5 % seulement des sympathisants de gauche lors de la primaire socialiste fut appelé à former le gouvernement pour appliquer une politique, la sienne, radicalement inverse de celle que la gauche avait préconisée pour gagner les élections. Et ce sont des représentants de toutes les autres sensibilités qui ont été écartés ou marginalisés.
Or, comment peut-on imposer des décisions difficiles, mobiliser un pays en état de sécession quand on est lâché par la majorité du peuple de gauche, qu'on a contre soi toute la droite, d'autant plus vindicative qu'on lui a piqué son programme, et qu'on a perdu le peu d'indulgence dont on bénéficiait au centre ?
La logique du nouveau cours eût voulu qu'on constituât une nouvelle majorité, c'est-à-dire une coalition
20 / Marianne / 29 août au 4 septembre 2014 |
susceptible de se mettre au service de la nouvelle orientation, regroupant donc l'aile droite de la social-démocratie, le centre et la fraction raisonnable de la droite. Or, dans le cadre de notre système institutionnel, c'est impossible. D'où le putsch cool.
Notre logique institutionnelle condamne donc a priori la tentative Valls, comme elle condamnerait une alternative de gauche, comme elle condamnera une alternative de droite différente de toutes celles qui ont contribué à placer le pays dans l'état où il est.
CARICATURE DE DÉMOCRATIE
Comme en 1789, c'est donc le système institutionnel lui-même qui est en cause, c'est lui d'abord qu'il faut changer : pour parvenir, comme en 1789 également, à abolir les privilèges, à casser les situations de monopole qui étouffent la croissance, à libérer les énergies et à favoriser l'esprit d'entreprise, à mieux répartir la richesse (alors que le pouvoir d'achat des salariés stagne, les dividendes des grandes entreprises ont bondi de 30 %, représentant sur un trimestre ce que le gouvernement a l'intention de faire économiser à ces mêmes entreprises), à faire revivre enfin une démocratie qui est en train de s'abîmer dans sa pire caricature.
Tout le reste est littérature.
Nous ne sommes pas encore, comme en 1789, dans une crise de régime. Mais une crise de régime est nécessaire.
Un président calamiteux, une Assemblée nationale de mannequins, des institutions devenues ubuesques, un système électoral poutinesque, ne permettront pas que notre pays rebondisse.
Comme en 1789, on ne redressera pas la France sans sortir du système qui l'a abaissée.
¦ 29 août au 4 septembre 2014 / Marianne / 21 |