Texte recopié
Dans ces périodes, les sociétés non démocratiques ont tendance à étendre leur pouvoir . C'était le cas de l'Eglise au Moyen Age. Aujourd'hui, c'est le cas de la maçonnerie. Elle affiche un objectif philosophique ou sociétal pour se donner bonne conscience . Mais c'est une société qui fonctionne de manière clanique. Je la qualifie parfois de SAII: société anonyme à irresponsabilité illimitée.» Car la maçonnerie n'est, de fait, pas structurée; elle n'a pas un vrai pouvoir central et donc des contre-pouvoirs: elle est protéiforme.
Non seulement les maçons sont de plus en plus présents dans le monde des affaires, mais ils ont acquis, cooptation oblige, des positions fortes dans de nombreuses administrations et dans certains syndicats. « Ils ont colonisé l'Etat», affirme un haut fonctionnaire. La police, l'armée, l'éducation nationale, la poste, la préfectorale, la recherche, les DOM-TOM, la coopération, l'administration sociale, les entreprises nationalisées, etc. De nombreux hommes de pouvoir s'en servent pour conforter leur position, intriguer, placer des pions. Ainsi, le patron de FO, Marc Blondel, fait déjà campagne pour que le successeur de Jean Mattéoli à la tête du Conseil économique et social, qui sera nommé en septembre 1999, soit un membre de FO, comme le fut Léon Jouhaux lors de la création du CES. Il pousse André Roulet, trésorier de FO, questeur au CES et membre du GO, comme lui. Les relais maçons, nombreux au CES, sont sollicités . Mais, dit un membre du Conseil, maçon, «je ne suis pas sûr que ce soit encore une référence»...
Mi-février, un malaise gagne le ministère de l'Industrie. Michel Colin, directeur du cabinet de Christian Pierret, mais également conseiller au cabinet de Dominique Strauss-Kahn, est invité à quitter ses fonctions, discrètement. Officiellement, l'homme souffre d'une mauvaise blessure au bras. En réalité, on lui reproche d'avoir intrigué en faveur du lobby nucléaire, au moment où le gouvernement mène une bataille délicate contre les surgénérateurs. On lui fait surtout payer la phrase de Dominique Strauss-Kahn à propos de la réouverture de Phénix, lorsque celui-ci a déclaré que la signature de la ministre de l'Environnement, Dominique Voynet, n'était pas nécessaire! Ce qui est juridiquement faux. Or il se trouve que cet administrateur civil, promu depuis trésorier-payeur |
général des Yvelines, l'une des sinécures les mieux payées de la République, est membre du Grand Orient. Et que, dans la guerre des nerfs qui se joue actuellement entre le lobby nucléaire et EDF, les réseaux maçons jouent à fond. Certes, le conflit ne se résume pas à une guerre tribale de maçons, mais une bonne connaissance de ces réseaux permet de comprendre bien des manœuvres .
Le lobby nucléaro-GO
De longue date, EDF s'est vu imposer par le lobby militaire la construction de surgénérateurs. Aujourd'hui, le temps a passé. EDF cherche à se désengager de cette filière qui lui coûte cher et nuit à son image. La lutte est d'une violence extrême. A la tête des partisans des surgénérateurs, on trouve Jean Syrota, PDG de la Cogema (Compagnie générale des matières nucléaires), qui gère notamment l'usine de retraitement de la Hague. Syrota est un haut fonctionnaire, ingénieur général des Mines, membre du GO. Côté nucléaire civil s'active Edmond Alphandéry, président d'EDF, un homme politique de droite, membre de la GLNF. A aucun moment, ces deux obédiences n'ont pris de position officielle, mais, pour triompher de l'adversaire, rien n'est laissé au hasard. «A ce niveau, on ne peut rien faire seul», commente un dirigeant d'EDF, maçon.
Déjà, en 1995, Corinne Lepage, ministre de l'Environnement, se heurte vivement, bien que maçonne, à Jean Syrota. Ce dernier a été nommé en mars 1993 à la vice-présidence du Conseil général des mines par Dominique Strauss-Kahn, alors ministre de l'Industrie. Cette situation est pour le moins ambiguë, puisque, en temps que patron des Mines, Syrota devient, de fait, le patron des ingénieurs d'Etat chargés de contrôler les installations nucléaires, dont celles de la Hague!
En arrivant au gouvernement en 1995, l'avocate Corinne Lepage, qui a en-gagé, auparavant, au nom d'une asso-ciation écologiste, un recours contre cette nomination, demande immédiatement le départ de Syrota. En vain. Ce dernier ne démissionne finalement qu'en août 1997, alors que le Conseil d'Etat s'apprête à rendre un avis négatif sur cette double casquette. Entre-temps, la guerre a été rude. Ainsi, en octobre 1995, lorsque, à la faveur du remaniement gouvernemental, Corinne Lepage change de directeur de cabi- |
net, Patrick Stefanini, directeur adjoint du cabinet d'Alain Juppé, lui recommande vivement Dov Zérah. Lors de leur premier entretien, ce dernier se présente, parle un peu de lui et informe son futur ministre de son rôle au sein de la Licra. Ce qui ne dérange évidemment pas Corinne Lepage. En revanche, elle ne découvre qu'au bout de quelques mois que Dov Zérah est membre du GO et qu'il tient régulièrement informé Jean Syrota de ses activités. Syrota utilisait le même dispositif d'influence auprès de Strauss- Kahn, avec Michel Colin!
Le lobby nucléaro-GO est en apparence extrêmement puissant. Il compte en effet dans s Pes rangs de nombreuses personnalités: un député PS du Nord, Christian Bataille, président de la fraternelle des parlementaires et auteur d'une loi sur le nucléaire; l'ingénieur général des Mines Claude Mandil, directeur général de l'énergie au ministère de l'Industrie; André-Claude Lacoste, directeur de la sûreté des installations nucléaires. Pourtant, ce lobby est en train de perdre la bataille. Preuve qu'un réseau ne suffit pas à gagner une guerre. Aussi efficace soit-il.
On s'aperçoit en effet que Jean Syrota a été, avec Raymond Lévy, autre membre du Grand Orient, l'un des généreux donateurs du Cercle de l'industrie, dont Dominique Strauss-Kahn fut vice-président durant sa traversée du désert, de 1993 à 1997. Qu'il a failli prendre la tête d'un grand pôle de technologies de pointe qu'Edith Cresson voulait constituer en 1991, sur les conseils d'Abel Farnoux, également GO. Et c'est Michel Colin, ancien directeur du cabinet de François Doubin, GO lui aussi, au ministère du Commerce et de l'Artisanat, de 1988 à 1992, qui a géré ce Cercle de l'industrie, de 1993 à 1997, avec le titre de délégué général. Quant à Dov Zérah, on le retrouve, tout au long de sa carrière, dans des administrations considérées comme des fiefs maçons. Au ministère de la Coopération, à la Caisse française de développement. Et il vient d'être recasé, par Abel Farnoux, comme directeur du cabinet d'Edith Cresson à Bruxelles. C'est ce que Guy Drut appelle en riant les «promotions triangle».
«Ce n'est pas très différent de ce qui se passe à l'X, à l'Inspection des fi-nances ou chez les anciens d'HEC», s'offusquent certains maçons. «Il y a des clubs beaucoup plus efficaces dans certains secteurs, comme le Cobaty international, qui regroupe les entreprises du bâtiment», commente un frère. La différence, c'est que les maçons sont |