L'AFFAIRE est si gênante qu'un haut magistrat vient de faire le voyage à Paris pour demander conseil à la Chancellerie, au mépris de la sacrosainte indépendance de la justice. Elle est si délicate qu'au tribunal de Grenoble, saisi d'une plainte voilà quinze jours. chacun s'effraie ou se délecte tout bas de rumeurs scabreuses. Elle est si sensible que les journalistes locaux, au courant des faits depuis une semaine, n'en ont pas encore pipe mot.
Le 16 octobre, un juge grenoblois a été interpellé à son domicile par la police. Placé en garde à vue à Voiron, il a passé quarante-huit heures au poste, tandis que les flics perquisitionnaient son domicile et, au palais de justice, son bureau.
Motif : une série de photos prises, comme il l'a reconnu sur procès-verbal, par le magistrat.
Beaucoup pourraient faire sourire : elles montrent de curieux justiciables en tenue légère et positions suggestives. |
Parmi ces sujets, souvent masqués, les policiers ont reconnu le juge lui-même ainsi que des personnes occupant d'honorables fonctions au tribunal.
Et ce dans le décor des salles d'audience et des antiques boiseries du lieu ! Mais on y trouve aussi - et c'est l'objet de la plainte - plusieurs adolescentes photographiées nues.
Drôles de jeux au prétoire
C'est d'ailleurs le père de l'une d'entre elles, élu d'une commune voisine, qui, à la mi-octobre, a saisi la justice pour « détournement de mineure ».
Sa fille, élève de troisième, effectuait un stage au tribunal, sous l'égide du magistrat interpellé.
Après qu'elle lui eut parlé de ces photos, le père a fait irruption au domicile du juge avec l'intention avouée de lui « casser la gueule ». C'est le procès-verbal enregistré par les flics de police-secours, |
arrivés sur les lieux, qui a déclenché l'ouverture, par le parquet, d'une enquête préliminaire.
Plusieurs personnalités locales se trouvant impliquées, le dossier devrait « atterrir » dans une autre juridiction que celle de Grenoble. Avec une plainte sans doute requalifiée en « attentat à la pudeur par personne ayant autorité sur jeunes filles de moins de quinze ans ».
Car aucune scène pornographique n'a été découverte.
Le juge se défend d'ailleurs en affirmant qu'il a pris des clichés « artistiques » pour son seul usage. En attendant une possible mise en examen, il a été relâché au matin du 18 octobre, sans avoir été présenté au parquet ni suspendu par sa hiérarchie.
Reste un mystère ; quel sentiment d'impunité a pu conduire un magistrat à confondre un tribunal avec un studio photo pour grands et petits personnages déshabillés ?
Jérôme Canard |
Réponse laconique de la Chancellerie aux questions du « Canard » : « Le ministère de la Justice n'a aucun commentaire à faire au stade actuel de la procédure et ne prend aucune initiative en matière disciplinaire»
Comme disait l'humaniste : « Ne nous parlez pas de Grenoble ! » |