Patrick Keil, ancien substitut au parquet de Carcassonne puis de Montpellier, dort en prison depuis un mois. Accusé de corruption.
Un marin attrapé avec un kilo de hasch, un voleur de lecteur MP3 et un individu accusé d'avoir agressé des passants à coups de cutter. Voilà les trois dernières affaires sur lesquelles le substitut du procureur de la République de Montpellier Patrick Keil, 45 ans, a requis. C'était le 12 août. Le soir même, il était en garde à vue. Puis placé en détention provisoire deux jours plus tard, mis en examen pour corruption et violation du secret professionnel. Il est actuellement incarcéré à la "Santé", en région parisienne.
Vendredi, le CSM (conseil supérieur de la magistrature) a rendu un avis favorable à la suspension provisoire de celui qui était surnommé le "petit procureur" en raison de sa taille (1,57 m), décision que devrait prendre le garde des Sceaux en début de semaine. S'il conserve son salaire le temps de l'enquête, c'en est probablement fini de sa carrière, de 17 ans passés au service de la justice.
Comment celui qui fut en 1998 à l'origine de l'affaire de dopage Festina - juge d'instruction à Lille, il avait mis Richard Virenque en examen - a-t-il pu en arriver là ? On le soupçonne d'avoir délivré des informations confidentielles à Gilles Payen, dentiste Montpelliérain accusé d'avoir indûment perçu 500 000 € auprès de la sécurité sociale. Avec, comme contrepartie, de petites sommes d'argent (pour un total estimé à 15 000 €), invitations au resto et autres billets de train donnés par le praticien à son "ami" le procureur. De l'avis de tous ceux qui le connaissaient, son contexte familial et un problème d'alcool sont à l'origine de sa descente aux enfers. « Pauvre petit Keil, c'est misérable » , entend-on depuis un mois au palais de justice, où le malaise persiste d'autant que l'inspection générale des services enquête.
Dans son bureau, les dossiers s'entassaient, c'était un capharnaüm. Patrick Keil était limité à des dossiers de contentieux et à des permanences pénales le week-end. En ville, on le croisait souvent avec son chien, des sacs plastiques à la main, remplis de DVD et de bouquins dont il était féru, mais l'air ahuri, visiblement pas dans ses baskets.
En fait, il semblerait que l'affaire Festina n'ait pas servi de tremplin à sa carrière. Après Lille, il avait des visées sur un poste à l'étranger, mais le CSM avait émis un avis négatif. Il s'est du coup retrouvé substitut à Carcassonne, un petit parquet. Ce qu'il aurait mal vécu. « Il était bien noté jusqu'alors, mais à partir de 2004, il a divorcé et a sombré. Mais avant, il n'y avait rien à redire sur lui » explique son avocat, Me Jean-Marc Darrigade. Dans l'Aude, il est plutôt connu pour la rapidité et la sévérité de ses réquisitions - « dix minutes, 18 ans requis » , se souvient une robe noire.
En 2005, Patrick Keil est muté à Montpellier, et rien ne s'arrange. « Il était en dépression, et seul dans cette ville, privé de ses trois enfants avec son problème d'alcool » , poursuit son défenseur. Il fréquente les bars situés près du palais, dans le quartier populaire du Plan Cabanes. Il sympathise avec le dentiste, devenu un camarade de virée nocturne où l'alcool coule à flots. Mais financièrement, il est étranglé. Il paye 1 200 € de pension alimentaire et s'est engagé à régler d'anciennes dettes contractées par son couple. Le dentiste commence à lui donner de l'argent, à lui payer le train pour qu'il aille voir ses enfants à Carcassonne. Patrick Keil tente de lui fournir des infos sur son dossier, dont il n'a pourtant pas la charge. L'enquête devra dire qui a manipulé qui, si le dentiste qui l'a dénoncé - après avoir été incarcéré - s'est servi de lui en jouant sur l'amitié, ou inversement.
Aujourd'hui, affirme son avocat, Patrick Keil s'est réveillé : « Il a reconnu, il a fait une confession totale, il assume sa faute. Il est lucide parce qu'il n'est plus embrumé par l'alcool. Sa carrière est finie et il le sait » .
Yanick PHILIPPONNAT |