Quand la profession se retrouve sur la sellette à l'occasion d'une transaction
Les victimes sont souvent âgées, isolées ou affaiblies |
Voilà trois ans, la couverture de Que Choisir consacrée aux « Erreurs des notaires » venait troubler la quiétude de la profession (OC n° 354).
Convoqués illico par le Conseil supérieur du notariat, les responsables de la rédaction se voyaient reprocher « des approximations » et « la mise en avant de comportements minoritaires à des fins sensationnalistes ». Vraiment ? À voir le nombre de dossiers troublants que nous recevons, sans doute les erreurs des notaires sont elles plus nombreuses que cela. En témoigne l'affaire examinée par le tribunal de grande instance d'Amiens (80), le 27 novembre dernier.
Vente sans consentement
Robert Guiard, un retraité résidant à Bruxelles, a 71 ans. Hémiplégique, il est prisonnier de son fauteuil roulant ; ce qui l'oblige à se faire assister dans ses démarches par deux amis belges, des frères jumeaux. En mai 1997, il décide de vendre sa maison, une fermette estimée à 360 000 F (54 881,64 €) et située à quelques kilomètres d'Amiens. Courant juillet, Me C., le notaire qu'il a chargé de cette vente, lui demande de baisser le prix à 280 000 F (42 685,72 €).
Robert Guiard accepte. Un peu vite car; début août, il reçoit un appel d'une certaine Mme R. : la maison l'intéresse. Et elle est prête à l'acheter au prix de 300 000 F (45 734,70 €). Le vendeur lui conseille de se mettre en rapport avec le notaire. Mais celui-ci est parti en vacances.
Robert Guiard adresse néanmoins à Mme R. une acceptation de l'offre d'achat, avec copie à Me C.
À son retour de congés, fin août, surprise : le notaire annonce à son client qu'il a vendu la maison à un autre acheteur pour 280 000 F. Robert Guiard n'a pourtant jamais été informé de la négociation. Pis, il affirme n'avoir pris connaissance des actes liés à cette transaction que ce jour d'octobre 1997 où l'acquéreur déniché par le notaire l'assigne en justice pour faire exécuter la vente.
Elle est finalement annulée en mai 1998 (1) par le tribunal d'Amiens qui, au passage, relève les |
Fautes de Me C.
En parallèle, Robert Guiard a également saisi la chambre départementale des notaires de la Somme pour lui demander d'arbitrer et de sanctionner l'officier public. Il faut attendre janvier 1999 pour qu'elle se prononce : rien ne peut être reproché à me c., qui, par ailleurs, « jouit d'une excellente réputation ».
Cependant, Robert Guiard persiste. Il engage alors une procédure judiciaire et réclame 500 000 F (76 224,50 €) à Mc C. et un million de francs (152 449 €) à la chambre départementale, pour l'indemniser des « tortures morales, menaces et pressions » qu'il a subies. Le notariat contre-attaque en réclamant des dommages-intérêts, les accusations proférées insinuant que des faux en écriture ont été commis par l'officier public (un crime, selon le Code pénal). Le tribunal d'Amiens rendra son jugement dans les jours qui viennent, le 6 février.
Sans préjuger de la décision qui sera rendue, ce cas en est un parmi tous ceux qui nous parviennent. Lors de l'audience, Marcel Gay, journaliste à L'Est Républicain et auteur d'Enquête sur les notaires''', nous confiait : « Les victimes du notariat sont souvent des personnes âgées, isolées ou affaiblies. Et les chambres départementales font preuve, en général, d'indulgence.
De plus, et comme le montrera notre enquête sur la justice à paraître en mars dans Que Choisir, il faut aussi tenir compte de la relative apathie des milieux judiciaires locaux dès qu'un notaire est mis en cause. Pour se défendre, Robert Guiard avait pris un avocat parisien, Me Chaufour. Aurait-il été délicat à un confrère amiénois de plaider ce dossier ? En guise de réponse, l'homme en robe noire nous opposera un énigmatique sourire.
Arnaud de Blauwe
(1) La vente conclue entre Robert Guiard et Mme R. sera officialisée par un notaire d'Arras (62) deux mois plus tard.
(2) Éditions Stock, 326 p., 19,82 € 1130 F.
Que Choisir 390 - février 2002 55
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