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MEDIAPART Camille Polloni et Antton Rouget - 13 février 2025 à 08h10
CORRUPTION ENQUÉTE
Corruption : l'affaire du « roi des fourrières » éclabousse des personnalités politiques
L'enquête visant un dirigeant d'entreprise et une dizaine de policiers a été étendue à des soupçons de trafic d'influence en lien avec le monde politique. L'épouse de l'ancien ministre Olivier Stirn a été mise en examen mercredi 12 février, selon les informations de Médiapart.
L'affaire de corruption du « roi des fourrières » prend un tournant politique. L'enquête sur les pratiques du patron de la société Inter Dépannage, qui a déjà entraîné dans sa chute près d'une dizaine de policiers, a été élargie à des soupçons de « trafic d'influence » visant deux personnalités politiques, l'ancien ministre Olivier Stirn qui a écumé la quasi-totalité des partis politiques, de droite comme de gauche - et l'actuel directeur général de l'Association des maires des Hauts-de-Seine, Vincent Marchand, selon des informations de Médiapart.
Le champ des investigations a été étendu fin mai 2024 à la suite de la transmission d'un rapport de l'inspection générale de la police nationale (IGPN), saisie de l'affaire, révélant de nouvelles infractions possibles. En enquêtant sur les pratiques de Chafic Alywan, patron déchu de l'entreprise Inter Dépannage, et ses relations intéressées avec des fonctionnaires de police, l'IGPN a en effet recueilli différents témoignages et documents sur les cadeaux offerts par le chef d'entreprise, qui a longtemps régné en maître sur plusieurs marchés importants de mise en fourrière d'Île-de-France, à Olivier Stirn et Vincent Marchand. Dans le même temps, les deux hommes sont suspectés d'avoir mis à profit de Chafic Alywan leurs carnets d'adresses et leurs fonctions, afin de l'aider dans ses affaires.
Olivier Stirn, aujourd'hui âgé de 88 ans, a noué une relation de grande proximité avec Chafic Alywan à partir des années 2010, période pendant laquelle cet ancien ministre de François Mitterrand, Georges Pompidou et Valéry Giscard d'Estaing a rejoint Nicolas Sarkozy - il était alors secrétaire national de l'UMP chargé de la « diversité ». Pendant plusieurs années, l'homme politique a bénéficié, selon l'enquête, de faveurs variées de la part du chef d'entreprise, qui semblait se comporter avec lui comme un service de conciergerie : réparations gratuites sur son Jeep Cherokee, prêt d'un véhicule, travaux dans sa salle de bains, etc.
En audition, un ex-salarié d'Inter Dépannage a aussi expliqué avoir officié, plusieurs mois durant, comme chauffeur d'Olivier Stirn et de son épouse, Évelyne Stirn, notamment pendant la campagne des législatives 2017 de cette dernière, sous les couleurs de la droite, dans le Calvados. d'après l'employé, Chafic Alywan lui « disait que ce monsieur était très important pour lui ».
Convoquée par les juges mercredi 12 février, Évelyne Stirn a été mise en examen pour recel d'abus de biens sociaux - des faits qu'elle conteste par la voix de son avocat. « Il n'y a pas lieu pour nous de commenter cette procédure qui concerne Madame Stirn qu'en raison d'accusation mensongères formulées pour détourner l'attention et instrumentaliser son nom », réagit son avocat, julien Roelens, auprès de Mediapart. L'état de santé de son époux ne lui permet pas d'être auditionné.
Virement bancaire
L'enquête judiciaire a aussi permis de retracer un virement bancaire, le 13 avril 2011, d'un montant de 25100 euros effectué au profit d'Olivier Stirn depuis un compte en banque au nom du père de Chafic Alywan à la Qatar National Bank et présenté sous la forme d'un « prêt ». L'ex-comptable d'Inter Dépannage, julien F., également mis en examen dans l'affaire, au cours de laquelle il a lourdement chargé son ancien patron, a aussi évoqué un don de « 80 000 euros » qui aurait été fait au moment des élections. « je ne m'en souviens pas, mais ce n'est pas 80 000 euros, c'était bien moins », a commenté Chafic Alywan devant les juges, en réponse à cette déclaration. Tandis qu'un autre ex-salarié de sa société a témoigné que dès que le chef d'entreprise rencontrait un « problème », il déclarait: «Je vais voir Stirn. »
De fait, l'IGPN a retrouvé pas moins de douze courriers rédigés entre septembre 2010 et août 2013 par le représentant de l'UMP pour des interventions en faveur de Chafic Alywan auprès d'élues (les maires de droite Patrick Balkany, Joëlle Ceccaldi-Raynaud ou Claude Goasguen), de préfets ou encore des dirigeants d'Aéroport de Paris ou de sa banque. Ces demandes portent sur des locations de terrain, l'obtention de délégation de service public, d'un logement social... « Monsieur Stirn était très proche de moi. S'il a envoyé des courriers pour me recommender, je n'appelle pas ça des services, mais de l'amitié », a justifié Chafic Alywan en audition, en novembre 2023.
Au cours du même interrogatoire, le patron d'Inter Dépannage a aussi été questionné sur ses relations avec Vincent Marchand, directeur général de l'Association des maires des Hauts-de-Seine depuis 2009. L'ex-comptable de Chafic Alywan a en effet accablé en audition cette figure incontournable de la vie politique du département. « Alors lui, c'est l'apothéose », a-t-il notamment lâché, en déclarant que son patron lui aurait indiqué « qu'il n'est pas fonctionnaire, qu'il eu a rien à foutre, qu'il peut faire ce qu'il veut ».
D'après le témoignage de julien F., Vincent Marchand était sollicité en « phase finale de marché public » pour intervenir auprès de maires. Une thèse réfutée par le chef d'entreprise au cours de son audition : «Je l'ai connu à la direction des maires. Il ne m'appelle pas pour me donner un coup de main dans les marchés, lui il veille sur ses villes », a-t-il justifié.
La comptabilité de son entreprise a permis de retracer plusieurs locations de véhicules haut de gamme portant la mention de Vincent Marchand, comme ces Mercedes Classe E pour plusieurs séjours en janvier, juin et octobre 2017, ou ce minibus de huit places en mars 2022.
Auprès de Mediapart, le directeur général de l'Association des maires réfute tout lien avec ses relations institutionnelles. « J'arrive enfin de carrière après dix-sept ans de bons et loyaux services, je n'ai rien à voir avec tout cela », affirme-t-il, expliquant avoir « reçu des dons dans le cadre des activités de [son] association d'aide aux pupilles des sapeurs-pompiers, cela n'a rien à voir avec l'association des maires des Hauts-de-Seine. Je me retrouve dans une affaire dans laquelle je n ai rien à faire. »
Camille Polloni et Antton Rouget
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